lundi, octobre 30, 2006

HALLOWEEN A DISNEYLAND RESORT PARIS : Entretien avec le show director Emmanuel Lenormand

Du 7 octobre au 5 novembre 2006, Disneyland Resort Paris accueille les visiteurs pour une nouvelle saison d’Halloween pleine de couleurs et de surprises. Toujours fidèles, Hommes-Citrouilles (irrémédiablement déterminés à repeindre le parc en orange) et Sorcières Roses (avec à leur tête Gruzella, la sorcière d’Halloween) rivalisent encore de farces et de rires pour le plus grand plaisir des petits et des grands. Mais un nouveau-venu s’est invité, cette année : Stitch, bien décidé à mettre son grain de sel dans cette joyeuse pagaille déjà bien remuante !
Un nouveau chapitre du Festival Disney Halloween, conçu cette année par le show director Emmanuel Lenormand, qui a très gentiment accepté de nous révéler tous les secrets de cette nouvelle saison avec la passion et l’enthousiasme des plus communicatifs qu’on lui connaît !


M. Lenormand, pouvez-vous nous parler de vos débuts chez Disney?
Il était une fois… tout a commencé en 1986. J'étais danseur pour la télévision, et en particulier pour Douchka, l'ambassadrice Disney de l'époque. Mais très vite, j'ai eu envie de passer de l'autre côté de la caméra. J'ai rencontré beaucoup de gens, et notamment les Américains qui venaient promouvoir le parc, déjà en 1988. C'est ainsi que j'ai fait mes classes, un peu en Floride et en Californie, mais surtout à Disneyland Resort Paris, comme chorégraphe et metteur en scène, ce que je fais aujourd'hui avec toujours le même bonheur.

Quelles sont vos différentes productions pour le parc?
J'ai mis en scène Peter Pan A La Rescousse en 2004 sur le gallion du Capitaine Crochet, ainsi que toutes sortes de spectacles de rue pour les Walt Disney Studios : Ciné Folies ou encore Road Movie. J'ai aussi repris le flambeau de Mickey et la Magie de L'Hiver et du Carnaval des Enfants. Mes dernières productions sont Starring Cruella DeVil et Lilo & Stitch Surfent Sur La Vague, que vous avez pu découvrir cet été aux Walt Disney Studios.

En quoi a consisté votre travail sur ce nouveau Festival Halloween à Disneyland Resort Paris ?
En fait, j’ai voulu « disneyiser » encore plus le Festival. Les Hommes-Critouilles sont arrivés sur le parc il y a quelques années, puis ce furent les Sorcières Roses l’année dernière, sous la direction d’un autre show director. Cette année, c’est à moi qu’on a confié la mission de concevoir le Festival, et je me suis dit que ce serait drôle de mettre un personnage fétiche au milieu de ces deux clans, un peu comme un arbitre. Stitch m’est alors venu tout naturellement à l’esprit, d’autant plus que je mets en scène depuis trois ans le spectacle Lilo & Stitch surfent sur la vague aux Walt Disney Studios. C’est un personnage qui a énormément de succès auprès de nos visiteurs, et notamment des enfants. Il a ce côté complètement fou, parfois ambigü : il est vraiment très rigolo.


Comment Stitch s’est-il glissé dans le Festival ?
Du haut de sa planète, depuis quelques années, il voyait un peu tout ce qui se passait à Disneyland Resort Paris à l’occasion d’Halloween. Et cela lui a tellement plu qu’il a déboulé en trombe cette année, au volant de sa CaracteriStitch Mobile pour mettre son grain de sel et nous montrer comment lui fêtait Halloween !

Avec lui, c’est tout un monde qui débarque !
En effet, je me suis amusé à créer tout un vocabulaire que l’on emploie tout au long de la journée. Par exemple, on ne dit plus « c’est fantastique », mais « c’est fantaStitch » ! Et il y a toutes sortes d’expressions du même style. Stitch a vraiment contaminé tout le parc !

Disneyland Resort Paris a initié un Halloween qui lui est propre. Comment vous situez-vous à l’intérieur de cette tradition ?
Le parc s’est intéressé à Halloween bien avant que la mode soit lancée en France et a tout de suite marqué sa spécificité à travers l’introduction des Hommes-Citrouilles. C’était parfait pour nous car il était important de proposer un Halloween qui ne fasse pas trop peur, pour un public allant de 2 à 102 ans. De la même manière, nos Sorcières Roses ne sont pas méchantes : ce sont de grosses sorcières avec un gros derrière et des cheveux rigolos, et nous formons nos comédiennes de telle sorte qu’elles jouent plus avec les visiteurs qu’elles ne les effraient. Quand on pense Halloween et Disney, on pense tout de suite à L’ETRANGE NOËL DE MR. JACK, qui est pour moi une référence absolue. Mais nous ne voulions pas de ce côté sombre et effrayant, tout en noir et blanc. On vient d’abord à Disneyland Resort Paris pour faire la fête, pour faire les fous. Nous avons donc raconté l’histoire de ces Hommes–Citrouilles, puis nous avons ajouté l’histoire des Sorcières et je pense qu’il était important de continuer cette tradition en conservant ces personnages qui sont devenus très populaires. J’ai donc « surfé sur la vague » en ajoutant un nouveau personnage, une nouvelle histoire, une nouvelle couleur, et dans la mesure où j’ai la chance de pouvoir m’occuper de futurs projets, je travaille actuellement à l’ajout encore de nouveaux personnages, afin de créer une histoire toutjours plus riche et intéressante. C’est un peu comme une série tv, avec une saison 1, 2, 3, etc.

Halloween est célébré dans tous les parcs Disney du monde, chacun à sa manière. Vous êtes-vous inspiré des autres Festivals Disney ?
Le fait est qu’il y a beaucoup d’échanges au niveau de l’ensemble des parcs Disney. Par exemple, les Hommes-Citrouilles ont tellement plu aux Américains qu’on les retrouve maintenant à Walt Disney World ! On reçoit également toutes les musiques créées pour les parcs Disney de par le monde et de la même façon, on fait connaître nos productions musicales aux autres parcs, qui en sont très friands, notamment aux Etats-Unis. J’adore découvrir toutes les façons différentes qu’ils ont de célébrer Halloween. A Tokyo, notamment, je sais qu’ils ont leur propre délire. Ils ont fait un travail remarquable sur la Find Stitch Parade, avec des traces de Stitch un peu partout dans le parc. Et c’est justement leur musique que nous avons en partie réutilisée pour notre Cavalcade de Stitch, tous les matins sur Main Street. Mais le plus amusant, c’est que j’ai écrit le Festival Halloween avant de connaître cette parade japonaise, preuve que nous sommes tous sur la même longueur d’onde ! C’est un peu comme pour Lilo & Stitch surfent sur la vague. Au moment où j’écrivais le spectacle des Walt Disney Studios, Walt Disney World préparait lui aussi un show sur le sujet, mais dans des dimensions plus réduites que le nôtre. Là-bas, c’est un peu comme un happening alors qu’ici nous avons des décors et des voitures, des cadillac, etc. Il n’y a pas de concurrence entre les différents parcs. Nous essayons simplement d’être en phase avec les attentes du public, et même de les dépasser.

Vous parlez de la musique de la Cavalcade de Stitch. Comment l’avez-vous conçue ?
La musique est quelque chose qui m’inspire et me « drive » toujours beaucoup pour concevoir mes spectacles. C’est la raison pour laquelle, quand on m’a confié la conception d’Halloween, j’ai appelé mes collègues des autres parcs Disney et je leur ai demandé ce qu’ils proposaient eux en matière de musique sur ce thème. Il faut dire que le budget dont nous disposions ne nous permettait pas d’envisager de nouvel enregistrement avec orchestre, et qu’il fallait donc puiser dans le répertoire existant. C’est ainsi que je suis tombé sur la musique du feu d’artifices Hallowishes de Walt Disney World. Au départ, je me suis dit que ce ne serait pas utilisable car il s’agissait de petits morceaux séparés par de longs silences. Puis je me suis ravisé et je me suis dit que cela pourrait fonctionner sous forme de medley. Je suis donc allé voir Vasile Silri, le directeur de la musique de Disneyland Resort Paris, nous sommes entrés en studio et nous en sommes resortis avec ce medley de six minutes qui ouvre la Cavalcade et que j’adore. On retrouve ainsi Pauvres Âmes en Perdition d’Ursula en version salsa, la musique de la Haunted Mansion, celle de l’ETRANGE NOËL DE MR. JACK, le Soyez Prêtes du ROI LION, ou encore Qui a Peur du Grand Méchant Loup ?, autant de musiques très populaires qui font le régal de nos visiteurs. Puis vient la chanson Hawaiian Roller Coaster Ride du film LILO & STITCH de 2002, que j’adore également. Je disposais bien évidemment de la version de notre spectacle d’été, mais je la trouvais trop gentille, trop « plage ». Alors, je me suis tourné vers celle de Tokyo Disneyland. Là, ils avaient ajouté toutes sortes de percussions, pour quelque chose d’un peu plus « rock », qui donne un peu plus envie de bouger, et c’est la raison pour laquelle je l’ai utilisée dans notre spectacle, cette sorte de parade qui se veut tout aussi festive !

Comment se passent les relations entre Stitch et les visiteurs ainsi qu’avec les Hommes-Citrouilles et les Sorcières Roses ?
Stitch est fidèle à lui-même et a, avec les visiteurs, le même comportement qu’avec Lilo dans le dessin-animé. Il a tous les droits : il arrive et fait son bazar sans se demander s’il dérange ou pas ! Il peut faire des choses que jamais Mickey n’oserait faire. Mickey est un peu l’image de marque de notre royaume alors que Stitch peut tout se permettre : faire des pieds-de-nez, se rouler par-terre, gesticuler dans tous les sens… mais tout finit toujours par un geste tendre. Par ailleurs, il est devenu le meilleur pote de Gruzella et Prunella durant les journées d’Halloween. Dans la Cavalcade, il discute plus volontiers avec Gruzella, ce qui fait que je dirai qu’il est plus proche des Sorcières Roses que des Hommes-Citrouilles.


Les Sorcières Roses ont donc les faveurs de Stitch, et dominent aussi quelque part la Parade d’Halloween.
Exactement. Cette année, je voulais rendre encore plus clair pour nos visiteurs le fait que les Sorcières Roses veulent prendre possession de la Parade. J’ai ainsi conçu un pont musical d’une vingtaine de secondes à l’intérieur de la musique de Vasile Sirli, It’s Halloween-Lo-Ween, une version lente et lointaine du premier couplet, afin de mettre en musique l’arrivée des Sorcières et leur prise de pouvoir ! Cela permet également de faire un break dans la chanson, de reposer un peu l’oreille, pour mieux repartir de plus belle avec le retour du refrain énergique de Vasile !

Stitch s’invite également à Frontierland, rebaptisé pour l’occasion Halloweenland !
Absolument. Lui et Donald ont investi la FantaStitch Stage, près du Cowboy Cookout Barbecue. Vous savez, au moment de décider des modifications à apporter au Festival, je me suis demandé si c’était un bon choix que d’y introduire Stitch. Or, pour moi, les visiteurs viennent au parc avant tout pour rencontrer les personnages Disney et vivre des aventures avec eux. De plus, j’aime bien avoir une signature Disney très forte. Et le fait est que le public est toujours présent et vient en nombre à chaque spectacle sur cette scène. Au départ, les musiciens de ce show, les Bad Boys, jouaient sans personnage. Aujourd’hui, Stitch et Donald se mêlent à eux et cela devient un spectacle Disney à part entière.

Le programme musical de ce spectacle s’en trouve de fait totalement repensé par rapport aux années précédentes. Comment avez-vous travaillé avec l’arrangeur et chef d’orchestre du parc, Robert Fienga ?
Nous nous sommes réunis avec Robert et je lui ai dit : « je ne veux que des tubes ! ». Comme je vous le disais tout à l’heure, nous nous adressons tout autant à des enfants de cinq ans qu’à des personnes de 90 ans. C’est la raison pour laquelle nous avons privilégié toutes les chansons de méchants Disney, à commencer par celles de L’ETRANGE NOËL DE MR. JACK (avec notamment la chanson de Sally, que j’adore), mais également Pauvres Âmes en Perdition, que Robert a arrangée façon tango, Cruella DeVil ou encore Gaston.

Comment créez-vous toutes vos merveilleuses histoires ?
Un peu comme un scénario. J’imagine une journée dans le parc : c’est mon point de départ. Un guest arrive. Il entre dans Main Street : que va-t-il voir ? Puis il arrive à Halloweenland : que va-t-il voir ? Et je fais cela pour une journée complète, jusqu'au soir. Une fois cette journée lambda conçue, on retravaille alors chaque chose en l’accompagnant de design et de visuels. Et pour chaque détail, on s’interroge toujours sur le pourquoi et le comment. Rien n’est gratuit : il faut que cela raconte une histoire. Dès qu’on sent un hic, on retourne à l’écriture jusqu’à ce que cela fonctionne. J’ai toujours à l’esprit, comme une devise, ces trois mots qui me viennent d’un ami : simple, efficace et de bon goût.

Vous avez également écrit l’histoire de la soirée Halloween du 31 octobre.
En effet. Cette fois, on a oublié un peu l’histoire de Stitch. Il sera là, pour les plus petits, mais on est plus parti sur l’idée que cette soirée attire davantage les adolescents et les jeunes adultes. Nous nous sommes donc tournés vers le film PIRATES DES CARAÏBES et c’est la raison pour laquelle nous avons thémé pour la première fois Adventureland. L’année dernière, c’était « Sorcières Roses contre Hommes-Citrouilles » ; cette année ce sera Sorcières Roses d’un côté (à Halloweenland) et Pirates de l’autre (à Adventureland). Quand vous arrivez dans le parc, le mot d’ordre sera « Sorcières ou Pirates : choisissez votre camp ! ». J’ai ainsi peuplé Halloweenland de créatures incroyables et fantômatiques, certaines montées sur échasses, tandis qu’Adventureland sera parcouru de jongleurs et autres cracheurs de feu. L’ambiance de ce land sera d’ailleurs assez inhabituelle, avec un éclairage très tamisé, tandis que la FantaStitch Stage accueillera pas moins de trois concerts au cours de la soirée, avec notamment la chanteuse Liza Michael. Je voulais aussi que la parade de la nuit soit unique. J’ai donc fait appel à un groupe extérieur, Malabar, spécialisé dans les spectacles de rue, qui viendra avec un gigantesque bateau pirate qui traversera Main Street avec des musiciens live, des acrobates, des équilibristes et des échassiers pour une véritable « Chevauchée du Bateau Fantôme ». Tous les talents qui ont peuplé Halloweenland et Adventureland vont rejoindre cette parade en une procession vers le Château de la Belle au Bois Dormant pour un feu d’artifice unique en son genre avec des effets sonores comme des bruits de vagues, le tout sur la musique de PIRATES DES CARAÏBES 1 et 2, pour un finale en apothéose !

Remerciements particuliers à Emmanuel Lenormand, Aurélie Massin et Delphine Kerfyser, sans oublier Christine Blanc pour les photos !
Photos © Disneyland Resort Paris, sauf photos 3& 4 © Christine Blanc

jeudi, octobre 26, 2006

THE WILD EN DVD : Entretien avec le réalisateur Steve « Spaz » Williams



Vous êtes-vous jamais demandé ce que devenaient les animaux enfermés dans les zoos après le départ du public et du personnel ?
Eh bien, quand les humains sont partis, c’est la fête ! En tout cas au zoo de New York, si l’on en croit la dernière production Disney, THE WILD. Un film délirant qui nous montre bien que les bêtes les plus sauvages ne sont pas forcément celles auxquelles on pense a priori, foi de caniche new yorkais !
Un film original à tous points de vue. Tout d’abord parce qu’il est l’aboutissement de la première collaboration entre Disney et les studios canadiens de C.O.R.E. Feature Animation. Et parce que, en tant que tel, c’est une vision originale de l’animation et de la manière de raconter des histoires qui nous est proposée, comme le souligne le producteur du film, Clint Goldman : « Nous voulions que THE WILD ait un style visuel différent de ce que l’on voit habituellement en matière de films en images de synthèse. Nous recherchions un pseudo-réalisme, tout en restant libres de franchir les limites de la réalité et d’apporter beaucoup d’imagination et de fantaisie. Dans notre film, les yeux des personnages s’exorbitent vraiment, il y a beaucoup de ‘squash and stretch’, ces déformations physiques typiques des vieux dessins animés traditionnels. Ils peuvent s’aplatir ou s’étirer de façon totalement exagérée. Et tout cela se déroule dans un monde qui semble réel. Cela nous permet à nous, cinéastes, de plonger nos personnages dans des situations vraiment drôles et de faire un film étonnant. »
Une originalité que nous avons ressentie en discutant avec le réalisateur du film, Steve « Spaz » Williams, artiste anticonformiste qui nous a fait partager sa passion pour ce film surprenant.


L’ECOLE DES REALISATEURS

M. Williams, avec THE WILD, le grand public vous découvre aux commandes de votre premier long métrage d'animation, mais ce n'est que l'aboutissement d'un parcours passionnant. Comment êtes-vous arrivé jusque là?
Je suis d'origine canadienne. J'ai commencé par des études d'animation traditionnelles, de 1981 à 1984, au Sheridan College de Toronto. Mon père travaillait chez IBM, ce qui fait que, tout naturellement, je savais également manier un ordinateur. A la fin de mes études, je me suis aperçu qu'il n'y avait pas beaucoup de débouchés dans l'animation à la main, et que l'animation par ordinateur n'existait pas encore vraiment. J'ai donc rejoint une petite compagnie qui s'appelait Alias Research à l'époque; et c'est là que j'ai pu écrire un logiciel intéressant en matière modeling et animation. J'ai ensuite voyagé à travers le monde pour le faire connaître et c'est ainsi que j'ai été contacté en 1988 par ILM, Industrial Light & Magic, qui débutait aussi dans ce domaine, pour collaborer avec eux. A l'époque ce n'était qu'un tout petit département de huit personnes qui travaillait sur l'élaboration de la tentacule d’eau d'ABYSS. Il y avait 18 plans pour un total de 72 secondes, et cela nous a pris presque un an. C'était artisanal ; nous ne réalisions pas encore à quel point ces techniques allaient progresser et prendre de l'importance.

Votre deuxième projet important est resté dans toutes les mémoires.
Après ABYSS, nous avons toujours travaillé avec James Cameron, mais sur TERMINATOR 2 cette fois. Le challenge était de réaliser un être humain en 3D. Et c'est devenu le T-1000. A ce moment, nous étions passés à 30 personnes dans le département. C'était en 1990, et le film est sorti en juillet 1991.

Puis les choses ont pris des proportions… impressionnantes!
En effet. Dans le même temps, nous avons appris que Steven Spielberg s'apprêtait à tourner JURASSIC PARK. Seulement, il était prévu pour être filmé en Stop Motion ou Go Motion par Phil Tipett. Je suis très téméraire de nature, et je me suis dit : je suis sûr de pouvoir construire le T-Rex numériquement! Personne ne m'a cru! Je me suis alors discrètement procuré des informations et quand j'ai pu faire marcher une ossature du dinosaure, je l'ai montrée à Kathleen Kennedy et Frank Marshall, les producteurs du film. Ils ont été tellement impressionnés qu'ils m'ont encouragé à poursuivre et nous avons conçu, toujours en secret, la texture de la peau du T-Rex afin de réaliser un dinosaure complet en 3D pouvant marcher. Nous avons présenté ce projet à Universal et à Steven Spielberg qui s'est écrié : "plus de stop motion, plus de go motion : le film sera réalisé entièrement avec des dinosaures en images de synthèse!" Avec le T-1000 et le T-Rex, la révolution était en marche… et nous sommes parvenus à prendre la Bastille! Ce succès fut d'autant plus incroyable que beaucoup de gens très établis dans le métier refusaient même d’entendre parler d’infographie auparavant. C'était un peu comme remettre en cause un système établi depuis des décennies. Or, pour moi, à chaque fois qu'une idée devient un standard, il est temps de la remettre en question. Et c'est ce que j'ai fait!

Puis ce furent THE MASK et SPAWN.
C'est cela. Je suis ainsi devenu superviseur des effets visuels sur THE MASK et réalisateur 2e équipe sur SPAWN. J'ai ensuite travaillé de façon indépendante chez Complete Pandemonium. J'ai notamment réalisé un certain nombre de publicités, notamment pour la Citroën Saxo, avant de m’occuper de la campagne de BLOCKBUSTER, racontant les aventures de Carl le lapin et Ray le cochon d’Inde. C’est ainsi que j’ai été remarqué par Disney. C'était en février 2002. Ils voulaient que je réalise l'un de leurs films. Aujourd'hui, quatre ans ont passé, et nous y sommes parvenus!

Comment êtes-vous passé de superviseur des effets visuels à réalisateur?
Ce fut une évolution naturelle. Chez ILM, j'étais animateur de personnage. Mais en même temps, mes connaissances en informatique m'ont permis d'aller plus loin dans la compréhension de ce qu'est le jeu d'acteur d'une part, et de la manière de filmer d'autre part. De fait, le réalisateur du MASK est allé jusqu'à me confier des séquences entières à tourner, car elles impliquaient des installations techniques très spécifiques. Le passage, ensuite, à la publicité a été naturel et le reste a découlé de là.



MON ONCLE…WALT

Votre parcours ne vous prédisposait pas nécessairement à travailler pour Disney. Cela fut-il difficile de vous frotter à la culture de l'entreprise?
J'ai toujours eu une réputation de rebelle, et a priori Disney n'apprécie guère les gens comme moi! Et pourtant, je n'ai eu aucun problème avec eux. Ils m'ont laissé diriger mon film à ma guise. Je n'ai pas une approche hiérarchique des gens avec qui je travaille : ce sont mes amis et je travaille avec eux. Je conduis mon film de l'intérieur. C'est une façon assez originale de diriger un film, mais j'estime que les gens sont beaucoup plus sincères si on les laisse faire et qu'ils sentent qu'on les soutient.

Tout comme VALIANT, PIGEON DE COMBAT, THE WILD n'a pas été produit directement par Walt Disney Feature Animation.
C'est le résultat d'une association avec plusieurs maisons de production et deux studios d'animation. La majeure partie du film a été produite par C.O.R.E à Toronto, tandis que le magnifique générique d'ouverture associant 2D et 3D a été fait par Reel FX au Texas, sous la supervision de deux animateurs, Ken Duncan et Mike Smith, deux grands noms dans le métier.

En tant que réalisateur d'un film d'animation, vous avez en charge le choix des voix des personnages. Comment cela s'est-il passé sur THE WILD?
Pour moi, avant tout, dans le choix des voix, il y a un choix de personne. Si j'ai choisi Kiefer Sutherland, Eddie Izzard ou James Belushi, c'est que je les apprécie énormément. Lors des séances d'enregistrement, je n'ai pu m'empêcher d'aller en cabine avec eux, d'enregistrer avec eux, afin d'essayer d'avoir le meilleur d'eux-mêmes que j'adore!

Pouvez-vous nous parler de votre direction des voix pour les personnages principaux?
J'ai une façon de faire que j'ai pu déjà éprouver sur certaines publicités, notamment avec Jim Belushi, qui faisait la voix du cochon d’Inde dans les spots BLOCKBUSTER. Mon rôle est de mettre les acteurs le plus à l'aise possible afin de laisser libre court à leur imagination. De fait, les textes ne sont pas totalement écrits pour leur permettre d'improviser à leur guise. C'est ainsi que, pour Eddie Izzard, il n'y avait pas plus de trois lignes d'écrites pour le film tout entier! Son interprétation a immédiatement fait de Nigel le koala un personnage très fort dans le film. Il faut dire qu’à l’origine, son personnage était plus défaitiste, plus désabusé. Eddie nous a dit qu’il n’était pas le bon acteur pour jouer un tel personnage parce que lui est plus dans l’énergie, dans la prise d’initiative. Nous avons trouvé que c’était une excellente suggestion et que nous pouvions travailler là-dessus. Nous avons passé deux heures à discuter avant de commencer à enregistrer, et nous avons abouti à quelque chose de vraiment brillant. De la même façon, Kazar, le gnou, était sensé être un méchant traditionnel, uniformément vilain. Mais William Shatner l'a transformé en un méchant à multiples facettes, capable d'être vraiment drôle. Le truc, c'est d'en faire le moins possible pour contrôler les acteurs, de leur décrire l'idée générale plutôt que de leur expliquer comment lire une ligne. Je suis sûr qu'avec des acteurs de cette trempe, une simple lecture aurait déjà pu être formidable, mais en leur laissant cette liberté, ils ont vraiment pu construire la personnalité de leur personnage. C'est aussi ma façon de travailler avec les animateurs, comme je vous le disais tout à l'heure. Peu importe ce que cela me coûte : si un artiste a une bonne idée, je fais tout pour lui permettre de la mettre en œuvre. J'ai tenu avant tout à ce que chacun travaille avec passion sur ce film!

Ce genre de processus créatif permet aussi de révéler de nouveaux aspects des acteurs, parfois méconnus d'eux-mêmes…
C'est en effet ce qui s'est passé avec Kiefer Sutherland. Samson et lui ont en commun une personnalité très stoïque, qui n'est pas sans rappeler le sérieux de Jack Bauer dans 24. Mais je ne voulais pas me contenter d'un personnage uniforme et j'ai creusé un peu plus profondément pour faire surgir un certain humour. Samson est un lion très sérieux, mais il a ses moments comiques. Ce fut un peu compliqué de faire entrer Kiefer dans ce second aspect du personnage, mais une fois qu'il l'a saisi, ce fut magnifique!


« JOUR DE FÊTE » AU ZOO

Quels sont vos goûts personnels en matière de musique?
Mes penchants me tournent plutôt vers le rockabilly, les vieilles chansons d'Elvis et le vieux swing.

Cela vous a-t-il influencé pour THE WILD?
Assez peu, si ce n'est avec cette chanson Big Time Boppin' (Go Man Go) écrite et interprétée pour le film par le groupe jazzy Big Bad Voodoo Daddy. Pour le reste, c'est une grande musique de film composée par Alan Silvestri pour un orchestre de pas moins d'une centaine de musiciens! La musique de THE WILD est un mélange assez original d'influences multiples ; c'est ainsi que je le voulais et je suis heureux que Disney nous ait fait confiance pour aller jusqu'au bout de ces idées. THE WILD est vraiment un Disney pas comme les autres.

Dans quelle mesure?
Il ne contient pas tant de formules toutes faites comme cela fut reproché à Disney dans le passé. Ils ont élargi leur cadre et m'ont laissé faire des choses complètement folles! Je pense notamment à cette scène avec ce pigeon, joueur invétéré et complètement givré! Musicalement, cette séquence tient vraiment de Bollywood avec beaucoup de sitar et de sons psychédéliques. De la même façon, étant un grand fan de hockey, je me suis permis une séquence de curling totalement folle avec des tortues. On y trouve aussi des flamands roses écossais, avec une musique ad hoc. Juste pour le plaisir de faire quelque chose de non conventionnel ! En effet, chaque fois qu'on voit des flamands roses dans un film américain, il faut systématiquement faire référence à la Floride soit par la musique, soit par l'accent. J'ai voulu rompre avec ces clichés, comme je l'ai toujours fait tout au long de ma carrière. Si l'on rompt un tout petit peu avec les conventions, l'imagination des gens fonctionne d'autant mieux. C'est ainsi que mes flamands roses sont écossais. Autant de choses qui auraient semblé impensables il y a quelques années.

Si ce ne sont pas les classiques Disney, quelles sont vos références en matière de comédie ?
Je citerai en premier lieu Jacques Tati. J’ai eu la chance de pouvoir étudier son œuvre. Son humour est principalement visuel, parfois absurde, et pour moi, c’est un véritable maître. Je pense que cela vient notamment du fait que je suis canadien. L'humour canadien est davantage tourné vers l'Europe, ce qui donne un sens très particulier de la comédie que j'espère les Européens, et notamment les Français, apprécieront. Sinon, je m’inspire également beaucoup de Laurel & Hardy, avec une pointe de Bugs Bunny, sans oublier une touche de Monty Pythons! J'ai d'ailleurs eu la chance qu'Eric Idle, grande figure de la célèbre troupe anglaise, écrive pour nous une chanson, Really Nice Day pour le "ballet" des animaux du zoo. Un titre que nous avons enregistré avant d'animer, afin que les animateurs puissent dessiner en accord avec la musique.

Est-ce que la musique a influencé votre manière de faire ce film ?
A certains moments, oui. Par exemple, nous nous demandions commen traiter le moment où les animaux émergent de leur tunnel et découvrent New York. Mais tout a changé lorsque nous avons eu l'idée d'utiliser un titre très célèbre du groupe Coldplay, Clocks. Cette chanson a eu beaucoup d'influence sur la mise en scène de cette séquence.

Dans THE WILD, on trouve un certain nombre de chansons, mais en fait très peu de personnages chantent réellement.
Dès le départ, je n'avais pas l'intention de faire une comédie musicale animée. De plus, Kiefer Sutherland ne chante pas très bien… Qu’à cela ne tienne, je lui ai demandé de chanter, et c’est plutôt rigolo dans le film !




PLAYTIME

Comment s'est passé le choix du compositeur?
J'ai tout simplement voulu le meilleur! Avec l'aide du département de musique de Disney, nous avons réfléchi au compositeur idéal pour ce film et Alan Silvestri s'est imposé. Du côté de Disney, il avait déjà travaillé avec eux sur plusieurs projets et cela s'était bien passé. De mon côté, j'aime beaucoup sa musique, et notamment cette ambiance mystérieuse qu'il a su créer dans le film PREDATOR. Sa musique possède une profondeur vraiment complémentaire à l’image.

Comment s'est passée votre collaboration avec Alan Silvestri?
Il a une approche très thématique de la musique. Il prend chaque scène du film et compose une musique très spécifique. Il a eu beaucoup de mérite car il a souvent travaillé à partir de copies de travail, avant même que le film soit finalisé du point de vue visuel. C'est vraiment quelqu'un d'épatant! C'est un grand professionnel. Il regarde un bout de film et il sait immédiatement ce dont cet extrait a besoin du point de vue musical. Mais le plus fort pour un musicien, c'est qu'il sait exactement quand il ne faut pas de musique. Il ne met de la musique dans ses films que lorsqu'elle lui paraît nécessaire, lorsqu'elle a vraiment quelque chose d'unique à apporter à l'image. C'est un expert!

Quel genre d'approche musicale avez-vous souhaité pour votre film? Mickeymousing traditionnel ou quelque chose de plus proche des films en prises de vue réelles?
C'est une question très intéressante. L'animation de THE WILD est très "cartoon" et demandait de fait une musique dans la même veine. Quand j'en ai parlé avec Alan Silvestri, j'ai pris comme exemple les cartoons de la Warner mis en musique par Carl Stalling. Mais en même temps, je voulais que la musique, de par son ampleur symphonique, apporte une profondeur au film. C'est ce mariage assez original auquel est parvenu avec talent M. Silvestri.

D’ailleurs, à propos du style visuel de THE WILD, le producteur Clint Godlman parle de « pseudo-réalisme ». Cela fut-il difficile de concilier réalisme et cartoon ?
Tout à fait. Nous avons fait beaucoup d'expériences en la matière afin de trouver un moyen terme entre l'hyperréalisme de Disney Pixar et ce que nous avions tenté avec BLOCKBUSTER. Mais cela a bien posé un problème créatif. Du fait de cet aspect réaliste, la peur qui se dégageait de certaines scènes, ajoutée à celle inspirée par la musique, tout cela en faisait trop. J'ai neutralisé cela en ajoutant des commentaires amusants des personnages qui contrastent avec l'aspect sérieux de la musique et de leur apparence visuelle. De son côté, pour ce genre de scène, sans jamais altérer ce sérieux, Alan a orchestré sa partition avec des instruments aigus comme le piccolo de sorte d'alléger un peu une tension qui pourrait impressionner les plus jeunes.

THE WILD se déroule en trois lieux principaux, le zoo, New York et la jungle. Comment avez-vous souhaité donner vie, musicalement, à ces deux univers?
J'ai d'abord souhaité une introduction très importante pour le film. Ensuite, j'ai conçu tout ce qui se passe dans le zoo comme une succession de numéros de music hall. J'ai voulu qu'il se dégage de cette première partie un sentiment très joyeux et contagieux. Pour ce qui est de New York, j'ai demandé à avoir quelque chose de très impressionnant et d'effrayant à la fois. Il se dégage une certaine anxiété de la ville, une peur latente qui éclate au cours des nombreuses séquences de poursuite. Enfin, la jungle est un peu un mélange de tout : on y retrouve la peur de l'inconnu, mais aussi l'émerveillement et la comédie.

On présente souvent THE WILD comme une comédie, mais il y a, comme vous le souligniez, quelque chose de plus profond. Quelles sont les valeurs du film?
C'est avant tout une belle histoire sur la relation père/fils. Mais il y a une autre morale au film : peu importe qui vous êtes et d'où vous venez. Ce qu'il y a de plus important dans la vie, c'est d'être aimé par les gens qui vous entourent. De nos jours, on voit partout sortir des films violents dans lesquels tout le monde se tire dessus. Je pense pour ma part que le plus beau cadeau que peut vous faire un film, c'est de vous faire rire –tant que ce n'est pas aux dépends de quelqu'un. C'est un art authentique et difficile car il est sans artifice. Et c'est cela qui vous apporte de l'espoir dans votre vie.


LES VACANCES DE M. WILLIAMS

Que pensez-vous des comparaisons que l'on fait ici et là entre THE WILD et MADAGASCAR?
Pas grand'chose. Nous avons commencé THE WILD avant que Dreamwork ne démarre leur film. De plus, MADAGASCAR propose un style très différent. Vous savez, quand j'ai commencé à travailler sur ABYSS, il y avait plusieurs films sur la mer qui étaient sortis juste avant parmi lesquels DEEPSTONE SIX et LEVIATHAN. C'est quelque chose de fréquent à Hollywood. Plutôt que de m'en offusquer, j'ai décidé de ne pas m'en préoccuper. Mon histoire est différente. Pour moi, MADAGASCAR est un peu comme le cartoon avant le film!

Que pouvons-nous souhaiter pour votre film?
Que les gens s'amusent, et surtout qu'ils soient surpris!

Qu'allez-vous faire après THE WILD?
J'ai un ranch ici en Californie du Nord et je n'attends qu'une chose : pouvoir y réparer tranquillement mon vieux tracteur!

vendredi, octobre 13, 2006

ANTARTICA EN DVD – Entretien avec le compositeur Mark Isham


Inspirée d’une histoire vraie, ANTARTICA –PRISONNIERS DU FROID est une des aventures les plus incroyables et les plus spectaculaires jamais contées. Au cœur des fascinants paysages du pôle Sud, dans une nature blanche et glacée que seuls quelques humains ont affrontée, le film, qui vient de sortir en DVD, raconte l’épopée de huit chiens de traîneau livrés à eux-mêmes et de l’homme qui, malgré le danger, n’a pas voulu les abandonner. Le récit d’une bouleversante histoire d’amitié et de courage, dans des conditions extrêmes, comme l’explique le réalisteur, Frank Marshall (également producteur de SIGNES, SIXIEME SENS et autres INDIANA JONES) : « J’ai immédiatement été touché par l’histoire. Elle avait un potentiel visuel et émotionnel rare. Cette aventure est une fable intemporelle, universelle, qui met en scène les sentiments les plus purs qui soient. Tout est essentiel et nous touche au plus profond. »
Et c’est justement cette universalité du sujet qui a touché le compositeur Mark Isham qui, après ET AU MILIEU COULE UNE RIVIERE ou encore UN HOMME PARMI LES LOUPS, signe ici la musique d’une nouvelle fresque naturaliste dont il a le secret.
En piste !


LE MIRACLE DES HUSKIES

Comment êtes-vous arrivé sur le projet ANTARTICA ?
C’est Frank Marshall, le réalisateur, qui m’a choisi pour faire la musique de son film. En fait, j’avais entendu parler de ce projet bien avant le tournage et j’ai trouvé que c’était une idée formidable. Je connaissais personnellement Frank, j’admire beaucoup son travail, mais je n’avais jamais travaillé avec lui auparavant. Je l’ai donc appelé pour lui parler de mon désir d’y participer et pour le convaincre que j’étais la meilleure personne pour sa musique. Et comme vous le voyez, nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d’onde !

Connaissiez-vous le premier ANTARTICA (1983) du japonais Koreyoshi Kurahara et mis en musique par Vangelis?
Je savais qu’un tel film existait, d’autant plus que notre ANTARTICA se veut un hommage au film original, mais je ne l’ai jamais vu.

ANTARTICA - PRISONNIERS DU FROID est votre troisième film avec Disney avec UN HOMME PARMI LES LOUPS (1983) et MIRACLE (2004). Ces trois films ont en commun le fait qu’ils sont basés sur des histoires vraies. Cela a-t-il une importance dans votre choix de film et dans votre approche ?
Avant tout, ce qui a compté pour moi, c’est le fait que ces films devaient faire appel à un véritable orchestre. C’est probablement l’élément principal que je considère en premier dans ma décision : quel sera le vocabulaire de base de ce film ? Et ce choix est souvent motivé par la dimension universelle de ces histoires. Cela va au-delà des personnages. Prenez UN HOMME PARMI LES LOUPS. C’était un grand film sur les grands espaces, et cela m’a beaucoup inspiré à l’époque. Et quand j’ai appris que Frank Marshall préparait le même genre de film, je me suis dit que ce devrait être une nouvelle expérience musicale de cette ampleur ! De son côté, MIRACLE est un film sur le sport qui se situe dans les années 80, autour d’un groupe d’étudiants. Mais surtout, ce qui m’a attiré, c’est l’idée d’un affrontement entre David et Goliath. C’est une histoire que l’on peut raconter dans toutes sortes de contextes, avec toutes sortes de personnages, et au-delà du fait qu’il s’agit d’une histoire vraie, il s’agit avant tout d’une histoire mythique. Par conséquent, j’ai opté pour une musique ne soit pas liée directement aux personnages eux-mêmes, mais à l’idée générale du film. Et c’est ainsi que nous avons opté pour une approche orchestrale. Ce fut la même chose pour ANTARTICA. C’est une histoire de survie, d’amitié et de loyauté avec un côté épique qui appelait aussi une approche orchestrale traditionnelle.



L’EMPIRE DES HUSKIES

Quelle fut votre approche de la musique d’ANTARTICA ?
Il fallait trouver une stratégie originale pour rendre justice au film. C’est donc une partition très épique, avec une structure très thématique. Cependant Frank ne voulait pas d’une musique trop dramatique ou trop sentimentale. Il savait qu’il s’agissait d’une histoire universelle et ne voulait pas destiner son film à une catégorie d’âge en particulier. Nous sommes partis de l’idée que, si une histoire est bien racontée, alors elle plaira à tout le monde. Par conséquent, j’ai essayé d’éviter tout excès dans un sens ou dans l’autre en me concentrant sur les aspects artistiques et esthétiques dégagés par le film.

Quelles furent vos influences musicales pour ce film?
Je m’intéresse beaucoup à l’école minimaliste, et notamment à John Adams. La musique de film, en particulier chez Disney, se doit d’être tonale. Les minimalistes ont su apporter un sang neuf à la tonalité, et c’est ce qui m’intéresse chez eux.

La nature est un véritable personnage du film. Comment l’avez vous abordée ?
ANTARTICA est en effet une sorte d’épopée naturaliste qui se situe dans une nature sauvage et indomptée. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ajouter certains éléments originaux à cette partition qui lui apportent une dimension exotique sans pour autant tomber dans l’ethnique. J’ai rassemblé un petit groupe d’instruments que j’ai intégrés à l’orchestre, et quand ils émergent, cela affecte l’orchestre dans sa couleur et sa normalité. Par exemple, j’ai remplacé le piccolo par le penny whistle. J’ai aussi fait appel à des marimbas.

En quoi affectent-ils l’orchestre ?
En fait, l’orchestre doit leur faire une place. Parfois, leur intonation peut paraître étrange ou bien surtout on ne les entendrait pas si on n’altérait pas la masse orchestrale en leur ménageant une place. Cela va jusqu’à supprimer l’orchestre par moment. C’est le cas avec le penny whistle, qui est utilisé seul. Les chiens ont une ouie beaucoup plus développée que la nôtre, et ils peuvent capter des sons beaucoup plus aigus que nous. C’est sur cette base que j’ai imaginé l’utilisation de cet instrument car c’est en particulier en pleine nature que les chiens utilisent leurs sens à fond. Le penny whistle renforce cette idée liée à cette nature, au fait que nous sommes très loin, dans l’inconnu, que les chiens communiquent entre eux et avec la nature et que nous pouvons les rejoindre. C’est ainsi devenu une forme de question réponse entre le penny whistle et l’orchestre.



DANSE AVEC LES HUSKIES

Les chiens sont sans doute les véritables stars de ce film.
C’est aussi un aspect qui m’a beaucoup attiré. D’autant plus qu’ils sont traités de façon réaliste. Ils ne parlent pas. On ne voit qu’eux pendant à peu près un tiers du film, et il n’y a pas de dialogue. C’est donc à la musique d’apporter de la vie à ces passages et d’assurer la communication orale et sonore avec le public. De ce fait, la musique devient à son tour un personnage principal du film, tenant une part importante dans la vision des cinéastes. C’était un défi passionnant !

Dans ces scènes muettes, quelle fut votre approche du point de vue de l’histoire et des émotions ?
J’ai essayé de mêler les deux. A l’évidence, les chiens vivent leur propre aventure. Ils chassent un phoque-léopard, ils découvrent une aurore boréale, l’un d’entre eux tombe d’une falaise, autant de scènes d’action pour les chiens, que j’ai abordé quasiment de la même façon que je l’aurais fait pour des êtres humains. Il y a également des moments d’émotion comme la mort de l’un d’eux, que j’ai traité de manière presque rituelle. Les chiens vivent leur vie, comme chacun de nous, à la seule différence qu’il n’y a pas de dialogue.

Pouvez-vous nous parler de cette scène-clef du film dans laquelle les chiens sont abandonnés. L’avion de leur maître décolle tandis qu’ils hurlent leur détresse, mais sans qu’on les entende car on n’entend en fait que la musique?
C’est le résultat de multiples expériences réalisées par Frank Marshall au moment de l’élaboration de la partition temporaire. Il m’a montré ce qu’il avait fait et m’a demandé ce que je pouvais maintenant faire à partir de là. Cela participe toujours de cette idée selon laquelle nous ne voulions pas en faire trop. Il fallait que cela sonne juste, sans jouer sur la corde sensible. Il se trouve que j’avais écrit quelque chose qui me satisfaisait bien pour la mort de l’un des chiens et je me suis dit que peut-être ce thème fonctionnerait aussi pour cette scène. J’ai donc réarrangé cette pièce en la rendant un peu plus consistante avant de la montrer à Frank. Et comme cette idée a fait l’unanimité, je n’ai pas eu besoin de chercher plus avant.

Le film s’ouvre sur une large pièce orchestrale très héroïque, et juste après cette introduction, la caméra se pose sur les chiens, avec une musique beaucoup plus intime, et en quelque sorte scintillante.
Pour moi, il s’agissait tout d’abord de présenter l’ambiance générale du film, de dire en musique que le public va voir un film d’aventure, avec des personnages courageux. Pour la deuxième partie, vous avez raison de dire « intime », car c’est exactement l’atmosphère que je voulais associer à ces huit chiens exceptionnels. Mais dans le même temps, il me semblait qu’il fallait quelque chose qui contienne l’idée de mouvement car ces derniers ne restent pas longtemps en place dans ce film ! Ils adorent courir et jouer, ce qui fait qu’il fallait aussi quelque chose d’amusant et de percussif. Pour cela, j’ai rassemblé un petit nombre d’instruments, dulcimer, piano, harpes et autres instruments à cordes pincées, que j’utilise pour les chiens seuls, pour tous les moments où ils ne tirent pas de traineau. On retrouve cet ensemble notamment quand ils viennent de se libérer et qu’ils se mettent ensemble pour chasser l’oiseau.

En peu de temps, toutes les règles musicales du film sont fixées.
En effet. Ce début du film se comporte vraiment comme une ouverture d’opéra dans le sens classique du terme, avec l’exposition des thèmes et des sonorités de cette partition, même si, ici, l’histoire a déjà commencé. On y retrouve donc le thème de l’aventure, le thème des chiens et celui de la romance naissante avec Katie, mais sous forme d’allusions : par exemple, le thème de l’aventure ne fait que quatre mesures ici ! Tout ce matériel sera développé au cours du film.



Quelle relation avez-vous conçue musicalement entre les humains et les chiens ?
Il y a une certaine séparation entre les deux mais ce n’est pas aussi tranché. Chacun a son thème, mais il y a des aspects de l’aventure communs aux deux que j’ai soulignés par l’usage d’un même thème. C’est le cas par exemple du thème de la solitude des chiens, que j’ai repris pour Jerry quand lui-même se sent seul car c’est la même émotion que vivent chiens et homme. Pour moi, un thème ne concerne pas tant un individu qu’une idée. La différence entre chiens et humains se situe plutôt au niveau de l’instrumentation. A un moment, Jerry regarde par la fenêtre et c’est le penny whistle qui nous informe qu’il pense à ses chiens. L’exclusivité en matière de thème ne fonctionne pas ; ce qu’il faut à mon sens, c’est se situer au niveau des idées car cela apporte une plus grande liberté dans l’exploitation thématique.

Avez-vous considéré les chiens individuellement ou uniquement comme un groupe ?
Généralement, je les ai traités en tant que groupe. Cependant, ce jeu sur les thèmes tel que je vous l’ai décrit permet en même temps un traitement individuel des chiens. Prenez Old Jack. Il sait qu’il est trop vieux pour se lancer dans cette aventure, et abandonne la lutte pour se laisser mourir. A un autre moment, lorsque Dewey tombe de la falaise, on ne sait pas s’il est inconscient ou mort. C’est la musique, en reprenant le thème de la mort de Jack, qui nous informe, sans le secours des mots, de la mort de Dewey. Sans être spécifique musicalement, on peut malgré tout avoir une approche individualisée et signifiante des personnages. A l’inverse, l’amour de Jerry pour ses chiens s’exprime la plupart du temps à l’écran à travers sa relation à Maya ou Max. Mais la musique se rapporte davantage à un amour qui unit le maître à tous ses chiens, sans exception.

Comment s’est passée la production de cette musique ?
J’ai eu la chance d’avoir pas mal de temps. J’ai pu travailler une bonne partie de l’automne, et comme ils ont retourné certaines scènes juste avant Noël, je m’y suis remis juste après les fêtes pour composer et enregistrer la musique de la dernière bobine. Pour ce faire, j’ai bénéficié d’un merveilleux orchestre allant de 55 à 90 musiciens. En tout, je dirais que cela représente pas loin de trois mois.

Nous avons été déçus de ne pas trouver d’album de votre musique pour ANTARTICA.
La déception fut aussi ma première réaction. Puis la colère. Ma partition est bien sortie, mais uniquement par téléchargement sur iTunes. Ce fut une décision marketing de Disney. Telle qu’ils me l’ont expliquée, la vente de cds de musique de film est un véritable cauchemar et c’est la raison pour laquelle ils envisagent maintenant de ne vendre leurs b.o. qu’online. ANTARTICA est donc la première musique à être diffusée de cette manière.

Que garderez-vous de cette expérience ?
Je considère qu’ANTARTICA fait partie des plus grands moments de ma carrière. Frank est une personne d’une grande élégance, qui sait s’entourer d’une équipe extrêmement compétente. De plus, le film possède en lui-même des qualités uniques qui m’ont beaucoup intéressé et qui m’ont permis d’en apprendre toujours plus sur la musique. C’est cela que j’aime dans ce métier. Chaque projet est l’occasion de toujours mieux comprendre ce qu’est la musique.

mardi, octobre 03, 2006

LA PETITE SIRENE 2 EN DVD – Entretien avec le compositeur Danny Troob

Avec LA PETITE SIRENE 2, l’océan s’est paré de nouvelles couleurs : une étonnante gamme de nuances et de tonalités merveilleuses qui donnent à l'univers sous-marin une lumière, une dimension uniques. Et pour ce faire, la musique n'est pas en reste -loin de là. A cette nouvelle palette picturale fait tout naturellement écho une remarquable palette musicale que nous offre Danny Troob, artisan inspiré de la partition de ce nouvel opus des aventures d'Ariel, poète coloriste de la musique, orchestrateur génial et délicat des plus grandes pages d'Alan Menken, de LA BELLE ET LA BÊTE à HERCULE, en passant par LE BOSSU DE NOTRE-DAME. Pour Media Magic, il a très gentiment accepté de re-partir là-bas, sous l'océan.


Nous sommes très heureux de retrouver un compositeur de la "Menken team" pour un film Disney.
Merci, merci beaucoup.

Quels souvenirs gardez-vous de cet âge d'or?
Je garde un souvenir merveilleux des sessions d'enregistrement. On rêve de cette musique lorsqu'on la couche sur le papier, et elle prend vie avec l'orchestre. L'air se met en vibration et le public peut entendre les idées que l'on a créées et ressentir les émotions que l'on a ressenties.

Quelle a été votre réaction à la demande de composer cette partition?
J'ai été énormément flatté. Je compose depuis des années et je n'avais pas encore eu l'opportunité de le faire pour Disney, et être sollicité pour composer la musique d'une suite aussi importante que celle de LA PETITE SIRENE fut un grand honneur. Pour être honnête, j'étais aux anges!

Vous avez participé à toutes les musiques d'Alan Menken pour Disney, sauf pour LA PETITE SIRENE. Cela a-t-il été un avantage ou un inconvénient?
C'est une bonne question. Je pense en fait que c'est un avantage parce que j'avais vu l'original, mais je ne connaissais pas la musique aussi bien, ce qui m'a permis de développer mes propres idées. Je pense que, si j'avais travaillé sur le premier film et que j'avais connu à fond toute la musique d'Alan, cela aurait été plus difficile de s'en détacher et d'aller dans ma propre direction.

On remarque dans votre partition certaines références précises à la France, notamment lors du bal, avec l'évocation d'Offenbach. Pouvez-vous nous parler de votre expérience de la musique française?
Offenbach est une sorte d'accident, mais il y a beaucoup de références dans ma partition à Debussy et Ravel. J'ai un grand respect et, je pense, une bonne connaissance de la musique française, en particulier Debussy, Ravel, Georges Bizet et Berlioz. Debussy a écrit ce chef-d'oeuvre qu'est La Mer, et une grande partie de LA PETITE SIRENE 2 se passe sous la mer. J'ai donc fait appel à mon expérience de Debussy pour créer ce monde sous-marin.

En effet, la couleur sonore a changé par rapport à LA PETITE SIRENE. Le premier film était plutôt inspiré (visuellement et musicalement) par la fin du XVIIIe siècle. Par exemple, Filles du Roi Triton est une parodie du style galant, et la couleur de la partition est plutôt "classique" (en tant que style). Le style de LA PETITE SIRENE 2 est plus proche de la fin du XIXe siècle et offre des couleurs nouvelles à cette nouvelle petite sirène.
C'est aussi une période différente dans l'histoire de la petite sirène. Ariel est maintenant adulte et sa fille vit dans un monde différent de celui dans lequel elle vivait. Il me semblait logique d'amener la musique dans une nouvelle direction, stylistiquement parlant.

On le sent notamment à travers votre utilisation inédite, à la fois sensible et romantique, de la harpe, par exemple lorsque Mélodie retourne dans sa chambre, après la scène tragique du bal.
Je vois de quelle scène vous parlez, avec la harpe seule. C'est un instrument magnifique. En fait, la plupart du temps, j'avais deux harpistes pour cette partition, ce qui est normal pour une symphonie, mais très rare pour une musique de film. J'ai pensé que c'était important. C'est pourquoi nous avons deux merveilleuses harpes. A ce propos, la harpe est un instrument caractéristique de la musique française, des compositeurs français dont nous parlions précédemment, et je ressens quelque chose de particulier, ainsi qu'un grand respect pour cet instrument.


Vous avez travaillé sur les couleurs, mais aussi sur les thèmes. Certains comme le nouveau thème d'Ariel vient de Michael et Patty Silversher. Comment s'est passé le travail avec ces grands songwriters?
Je n'ai pas travaillé directement avec eux. Les chansons ont été enregistrées un an avant le début de mon propre travail. Mais je pense qu'il est important d'intégrer les thèmes des chansons dans la partition parce que ce sont de grands moments d'émotion de la part des personnages. J'adore écrire mes propres thèmes, mais il y a des moments où il est plus approprié d'avoir recours aux chansons comme base de la partition.

Avec LA PETITE SIRENE 2, c'était la première fois que le compositeur de la suite d'un film Disney utilise les thèmes du film original.
Disney a eu la chance d'avoir l'accord d'Alan Menken pour utiliser certains de ses thèmes et j'ai pu ainsi utiliser ces thèmes magnifiques dans ma partition. J'ai particulièrement apprécié de pouvoir faire appel au premier thème d'Ariel pour la scène où elle retourne à l'océan parce que c'est un retour vers les siens, et cela m'a semblé tout-à-fait bienvenu de réutiliser ce thème. Pour cette scène, je ne pouvais créer mon propre thème car je trouvais que, dans l'histoire, c'était un sentiment merveilleux que de permettre à Ariel de retrouver ses origines.

En plus des thème issus des chansons, vous avez créé vos propres thèmes pour les personnages. Il y a par exemple celui de Mélodie, peut-être le plus présent dans votre partition. Quelle est votre approche de ce personnage ? Qu'avez-vous voulu lui apporter que le thème de For A Moment ne disait pas?
C'est une excellente question. En fait, on entend le thème que j'ai écrit pour Mélodie pour la première fois lorsqu'elle est en train de nager. Je voulais qu'il exprime sa grâce naturelle et son aisance dans l'eau. Je voulais juste montrer que, si elle n'est pas encore une sirène, elle est quand même faite pour l'océan, c'est ce que je voulais montrer dans cette scène, avant de réutiliser ce thème plus tard dans le film, en particulier lorsque Mélodie essaie en vain de parler à sa mère de son attirance pour l'océan.



Tip et Flash ont également un thème purement instumental : deux bassons ou encore deux clarinettes en quartes parallèles, ce qui crée un effet un peu particulier.
En fait, c'est le réalisateur [Jim Kammerud, NDLR] qui m' a demandé de le faire, et ce pour une raison importante. Leur chanson se rapporte à leur rêve d'héroisme, leur thème met l'accent sur leur humour et leur folie. Ils se prennent un peu trop au sérieux et le thème agit comme une sorte de désapprobation.

Morgana n'a pas de chanson, mais elle a un thème.
Morgana a en effet un thème, qui prend les apparences les plus diverses. Il apparaît la première fois qu’elle entre en scène, mais les effets sonores sont très puissants et je crains qu'on ne puisse bien l'entendre. Il apparaît également dans la scène où Morgana découvre que Mélodie a trouvé le médaillon. C'est une sorte de valse folle, composée en fait de deux thèmes qui interviennent dans toute la musique qui est consacrée à la sorcière.

Le thème d'Ursula apparaît juste lorsque Morgana détruit le bateau d'Eric, ce qu'elle n'avait pas réussi à faire dans le film de 1989.
C'était amusant. Morgana essaie d'achever le travail d'Ursula. Cette citation semblait justifiée d'un point de vue dramatique. De plus, à la fin de mon voyage en tant que compositeur, il était très agréable d'avoir un thème supplémentaire à ma disposition.

Comme vous l'aviez fait pour POCAHONTAS, vous avez dirigé l'orchestre lors des sessions d'enregistrement de LA PETITE SIRENE 2. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience?
C'est un grand plaisir de diriger ses propres morceaux parce que l'on a une communication directe avec l'orchestre. Vous connaissez votre partition de façon très intime dans la mesure où vous l'avez orchestrée également. C'est toujours une grande émotion de se voir demander de diriger plutôt que de participer au mixage ou de juste assister aux sessions. C'est très agréable et je pense que cela conduit à une meilleure exécution.

Nous regrettons que votre musique ne figure pas sur le Cd de LA PETITE SIRENE 2.
J'apprécie votre sentiment. Je l'aurais voulu également. L'idée que les Cds de ces suites puissent être de véritables bandes originales avec la musique du film a fait l'objet de longues discussions. Il a été finalement décidé qu'il n'y aurait que des chansons. Je le regrette. Je suis cependant très content du film. Ma musique est très présente dans le mixage et les gens qui verront le film pourront vraiment l'entendre. Parce qu'on ne sait jamais comment sera le mixage, la musique peut ressortir plus ou moins. J'ai plutôt bien survécu!

Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement avec Alan sur la comédie musicale de LA PETITE SIRENE, entre autres. C’est un très beau projet et je suis impatient qu’il puisse voir le jour !

lundi, octobre 02, 2006

LA PETITE SIRENE 2 EN DVD – Entretien avec les compositeurs des chansons, Patty & Michael Silversher

La magie Disney passe indéniablement par les chansons, et le choix des compositeurs est toujours crucial. De ce choix dépend non seulement le caractère des personnages, l'atmosphère, mais aussi le succès du film tout entier. C'est bien le chant, cette dimension magnifiée de la parole, qui va nous faire pénétrer le tréfonds de l'âme des personnages. C'est bien la chanson qui fait que le spectateur peut réellement appréhender et s'approprier l'univers du film. C'est bien la chanson qu'il va pouvoir fredonner dès sa sortie des salles obscures, ou dès après le visionnage de la vidéo. Et Disney ne s'est pas trompé en faisant appel à Michael et Patty Silversher, dont les émouvantes et inoubliables mélodies nous parlent directement au coeur. C'est avec la même sincérité qu'ils nous parlent de leur travail sur LA PETITE SIRENE 2 : RETOUR A L'OCEAN, qui vient de ressortir en dvd.

Nous ne vous connaissons pas bien en France. Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant LA PETITE SIRENE 2?
PS) Cela fait 17-18 ans que nous travaillons pour Disney, en particulier dans le domaine des séries animées. Nous avons écrit la Title Song de SUPER BALOO, la Title Song des GUMMIES, la plupart des chansons de LA PETITE SIRENE-LA SERIE ainsi que des chansons pour des occasions spéciales. Nous avons été dernièrement nominés aux Emmy Awards pour une chanson que nous avons écrite pour un dessin-animé WINNIE L'OURSON spécial Saint-Valentin.
MS) En fait, nous avons été nominés trois fois, et les deux dernières fois se rapportaient à des chansons écrites pour des dessins-animés WINNIE L'OURSON spéciaux, destinés à des fêtes particulières. La première chanson était pour l'émission spéciale Halloween et s'appelait I Want To Scare Myself, chantée par Tigrou, and l'autre était pour la Saint Valentin intitulée Places In The Heart, chantée par Jean-Christophe et Winnie. Notre première nomination concernait une émission spéciale Noël avec Jim Henson et les Muppets et la chanson s'appelait Mr. Wallaby's Christmas Tree. Nous avons également composé la chanson d'ouverture d'ELMO IN GROUCHLAND [musique de John Debney, JN]. En ce qui concerne SUPER BALOO, je revenais d'un long séjour en Russie (c'était encore l'Union Soviétique), et au lieu de faire quelque chose de russe, j'ai décidé de faire quelque chose de complètement antillais!

Vos chansons prolongent vraiment ce que nous avions aimé sur LA PETITE SIRENE en 1989 : de belles mélodies, l'optimisme, la fantasie, l'humour, le sens du théâtre. Que représente ce premier film pour vous?
MS) C'est l'un de nos films préférés et nous avons adoré les chansons d'Howard Ashman et Alan Menken. Ce fut une sorte de guide. Nous voulions atteindre leur niveau tout en poursuivant dans ce sens. Leur musique fut un bon modèle pour nous.
PS) L'humour est très important pour atteindre tous les âges, des enfants aux adultes.
MS) ...et nous avons travaillé ensemble pour créer quelque chose qui soit à la fois beau et drôle pour tout le monde. En tout cas nous l'espérons.

On sent dans votre style l'influence de la comédie musicale.
MS) Absolument. Nous nous sommes constamment demandés ce que nous pouvions ajouter pour donner vie à ce projet, à la manière d'une comédie musicale. Je travaille dans ce milieu depuis 1970. J'ai été compositeur en résidence au Sundance Playride Club de Robert Redford. Je l'ai été pendant six ans. J'ai participé à un spectacle au Kennedy Center de Washington, DC, et je viens d'écrir un opéra pour l'Opéra de Los Angeles qui a ouvert la semaine dernière [la première semaine de novembre, JN]. C'est un opéra écrit chanté par des adultes, mais aussi par des enfants venus de différentes écoles et qui se sont beaucoup investis dans ce projet. C'est un petit opéra, mais très amusant.

Comment travaillez-vous l'un avec l'autre?
PS) J'écris les paroles, et Michael écrit la musique ainsi que les paroles. Habituellement, la musique vient en premier. Nous recevons un scénario qui, très souvent, n'est qu'une ébauche. Si Disney a une idée de l'endroit où ils désirent une chanson, nous partons de là et nous la traduisons en chanson. En fait, dans LA PETITE SIRENE 2, nous avons pris en charge toute l'ouverture et nous en avons fait une chanson. C'était très ambitieux, ce fut notre idée de débuter le film de cette façon.
MS) Nous avons écrit toute cette scène en musique et nous avons intégré les dialogues à la chanson.

Morgana ne chante pas.
PS) Nous avions écrit deux chansons pour Morgana, mais il fut décidé de supprimer la chanson et sa reprise à la fin du film, ce qui a changé la fin de l'histoire. Ce fut une décision de dernière minute.
MS) Elle s'appelait Gonna Get My Wish Tonight.
PS) Elle était très R&B et nous l'adorions.
Il aurait été intéressant d'avoir une chanson pour cette Méchante qui se démarque du style très "Cabaret" d'Ursula.
MS) Nous voulions faire quelque chose de différent de Kurt Weil. Cette chanson était dans le style R&B, mais également inspirée par la Louisiane, ce qui changeait vraiment l'ambiance proprement musicale.

Les premières paroles du film sont celles d'Ariel qui, dans Down to the Sea, chante "You are my world" à Mélodie. C'est vraiment le prolongement de Part of Your World (Partir Là-Bas). [Cette allusion se ressent également dans la version française de Ce Grand Moment, magnifiquement traduite par Luc Aulivier].
PS) C'était là notre but.
MS) Cette relation apparaît dans la conduite des voix de cette chanson. La mélodie de Part of Your World ne fait que monter sans cesse parce qu'Ariel vit sous l'eau et qu'elle veut aller sur la terre. Dans Down to the Sea, nous voulions que la musique fasse l'inverse. Une opposition que l'on retrouve dans For A Moment (Ce Grand Moment) avec le thème de Mélodie, toujours ascendant.

En harmonie, les mouvements contraires témoignent de la complémentarité des voix. Ainsi Ariel et Mélodie sont-elles à la fois opposées et unies. Toute l'histoire est contenue dans cette opposition des conduites vocales.
MS) Vous avez exactement saisi ce que nous voulions faire passer.


Tip & Flash s'inspire nettement de Richard Wagner. Au début, on reconnaît Le Vaisseau Fantôme, puis c'est La Walkyrie qui est citée dans la seconde partie, mais vous changez la mesure par rapport au refrain et tout devient instable pour renforcer l'aspect comique de ces personnages.
MS) Absolument. En fait, ce fut la première chanson que nous avons écrite pour ce projet. Une sorte d'expérience pour voir comment cela fonctionnerait avec des personnages entièrement nouveaux. Leurs rêves ne correspondent pas à leur véritable nature, et j'ai pensé que Wagner serait une bonne idée.

Mais tout cela dénote malgré tout une grande tendresse pour ces deux personnages.
PS) Ce sont des personnages extrêmement touchants. Ils essaient d'être braves en dépit de leur insécurité et de leurs craintes, un peu commme des enfants qui, lorsqu'ils jouent, cherchent à se montrer les plus forts alors qu'à l'intérieur ils sont dans l'incertitude et ont conscience de leur vulnérabilité.
MS) Lorsque nous écrivons, Patty et moi, nous écrivons à partir de nos propres expériences en tant qu'humains et les chansons nous viennent de ce que nous pensons être le coeur de ces personnages. Parce que nous sommes tous comme cela, nous cherchons tous à nous montrer braves alors que nous avons peur. Nous avons écrit cette chanson à partir de cette partie de nous. Notre démarche est autant intellectuelle qu'émotionnelle.

En qualifiant le pingouin de "Titanic Tip", ne feriez-vous pas référence à un célèbre bateau qui a eu des problèmes face à un iceberg?
(rires)
PS) En fait, le nom "titanic Tip" nous a été donné par Disney.
MS) Dans une des versions prélimaires du film, les deux compères plongent dans les profondeurs et découvrent le fameux bâteau. Le pingouin en voit le nom, il lui plaît et il l'adopte immédiatement! Le film est passé par vingt versions différentes. Nous avons commencé à écrire la musique à partir de la septième version. Nous avions une chanson complètement différente pour Mélodie. Il y avait tant de possiblités avant de se faire une idée précise du caractère du personnage et de lui écrire la chanson qui lui conviendrait le mieux.
PS) Vingt-et-une versions du scénario et deux réalisateurs différents.
MS) Le premier réalisateur est parti vers la version 17. Ce fut très compliqué et cela a pris plus de temps que prévu.


Sébastien est vraiment très important dans ces chansons, à tel point que c'est une reprise de sa chanson à lui qui clôt le film, et non pas Sous le Soleil et l'Océan, qui célèbre la rencontre du peuple de la mer et des gens de la terre.
MS) Sébastien est important de toute façon, pas seulement musicalement! A l'origine, nous voulions que cette dernière chanson soit plus dans l'esprit d'union de la première...
PS) ...et, en fait, c'est ce que nous avions écrit au départ. Mais elle fut supprimée car Disney voulait conclure le film avec Sébastien.
MS) Ils voulaient lui donner un numéro rythmé supplémentaire. Comme vous le savez, la musique de cette chanson se trouve au milieu de la scène d'ouverture et ils nous ont demandé de la développer.

Vous vous décrivrez comme des mélodistes émotionnels. Pouvez-vous nous en parler plus précisément?
MS) Il y a un an, nous nous trouvions à une conférence avec des gens du monde de l'animation, et quelqu'un m'a demandé : "Ecrivez-vous pour les enfants?". J'ai répondu : "Non." Et Patty sera d'accord avec moi : les premières personnes à qui nous voulons plaire, c'est nous-mêmes. J'écris ce que j'aime. Parce que je recherche la vérité émotionnelle, parce que nous recherchons une sincérité émotionnelle pour que cette sincérité trouve écho chez le public. Vous savez, je suis un autodidacte. J'ai commencé à jouer de la musique étant enfant et j'écris de la musique depuis que j'ai huit ans, ce qui veut dire depuis quarante ans. C'est mon expérience en tant qu'être humain. Ce que je recherche, c'est quelque chose en quoi je puisse croire. Patty et moi travaillons dans cet esprit. Nous croyons vraiment en tout ce que nous écrivons.
PS) Michael a vraiment un grand sens de la mélodie et je pense que c'est très important aujourd'hui car il a beaucoup de productions pour les enfants, mais peu font appel à de vrais compositeurs.
PS) J'ai grandi avec Irving Berlin et Rogers & Hammerstein, avec des comédies musicales pleines de mélodies. La mélodie a toujours été primordiale.

FRERE DES OURS 2 EN DVD – Entretien avec le compositeur Dave Metzger



Kenai et Nita étaient les meilleurs amis du monde (c’était avant que Kenai ne se transforme en ours). Il avait scellé son destin à celui de Nita en lui offrant un médaillon. Mais aujourd’hui, la belle indienne veut rompre ce pacte remontant à l’enfance pour pouvoir épouser Atka. Elle devra alors retrouver Kenai et le convaincre de l’accompagner à leur ancien refuge pour détruire ce fameux collier. Au début, la jeune femme déterminée et l’ours têtu sembleront ne plus avoir grand’chose en commun. Mais à travers les personnages et les défis qu’ils vont rencontrer lors de leur périple, les tendres sentiments qu’ils avaient l’un pour l’autre vont peu à peu refaire surface…
Telle est l’histoire de Frères des Ours 2, sorti en DVD le 13 septembre dernier. Un film à la fois drôle et attachant, produit par Carolyn Bates et Jim Ballantine (Bambi 2), et mis en musique par Melissa Etheridge pour les chansons et Dave Metzger pour la partition.
C’est ce dernier, orchestrateur de Mark Mancina (Speed 2, Tarzan, Frères des Ours, Le Manoir Hanté et les 999 Fantômes…) et co-compositeur de nombreux dessins animés (La Légende de Tarzan, Tarzan & Jane, Tarzan 2) que nous avons eu le plaisir de rencontrer afin de percer les mystères de cette musique pleine …d’Esprit.
Avec Frère des Ours 2, Dave Metzger signe sa toute première musique de film en solo et le résultat ne manque ni d’humour ni de poésie.
Quelle ambiance !

Frère des Ours 2 vient tout juste de sortir est c’est déjà un succès tant en Amérique qu’en France !
Je suis très content de ce film. Quand on se lance dans une suite en « direct-to-video », il y a toujours une part d’incertitude. Mais le fait est que l’histoire de Frère des Ours 2 est vraiment intéressante et que le film qui en résulte est vraiment très beau.

Comment avez-vous été contacté pour composer la musique de ce film ?
C’est un peu la conséquence de Tarzan 2, dont j’ai composé une bonne partie de la musique. Matt Walker, vice-président de la musique pour Disney Toon Studios, était très content de mon travail. Et j’avais aussi beaucoup participé aux films originaux en tant qu’orchestrateur pour Mark Mancina, le compositeur de Tarzan et Frère des Ours. Il était donc naturel de faire appel à moi pour ces deux suites.

Comment avez-vous géré le fait qu’il s’agit d’une suite ?
Avant tout, vous n’avez pas à vous préoccuper de créer le monde musical des personnages. Cela a déjà été fait pour le film original. Ceci dit, les créateurs de Frères des Ours 2 n’ont pas voulu réutiliser les thèmes du premier film. A partir de là, mon travail a consisté à renouer avec cet univers musical sans le copier exactement. Ce fut particulièrement sensible pour les élans. Le thème original était parfait, et je ne voulais pas trop m’en éloigner. Il fallait rester dans la même… ambiance. J’ai donc passé beaucoup de temps à réfléchir sur la distance idéale entre le thème original et celui que j’étais en train de créer pour cette suite. Un autre passage obligé du film était la scène de transformation de Nita, qui est une référence très explicite à celle de Kinaï dans le premier film. Je tenais absolument à renouer avec cette magie, et dans la mesure où c’est moi qui ai arrangé la chanson de Phil Collins pour le 1, je me souvenais très précisément des moyens que j’avais utilisés à l’époque pour rendre cette magie. J’ai donc traité le thème de la chanson de Melissa Etheridge exactement de la même façon dans cette scène.

On sent également les liens entre les deux films à travers vos orchestrations.
Absolument. Dans la mesure où j’avais orchestré la totalité de Frère des Ours, je n’ai pas seulement composé la musique de cette suite, mais je l’ai également orchestrée. Là encore, je me suis replongé dans le son du film original et j’ai essayé de créer une continuité musicale entre les deux. Les deux partitions semblent ainsi appartenir au même univers.



On sent bien cette continuité, mais cela ne vous a pas empêché d’apporter de nouvelles couleurs à cet univers. Je pense notamment à votre traitement des ratons laveurs, autour du dobro, cette guitare en métal typique du blues.
Nous avions déjà utilisé le dobro dans Frère des Ours, pour les scènes se déroulant au rendez-vous des saumons. Mais c’était de façon très discrète et très courte. Au moment de réfléchir à un nouveau son pour ces nouveaux personnages, je me suis souvenu de ces petites touches de guitare et j’ai décidé de lui donner une place plus importante. Je me suis dit que, dans la mesure où le film se déroule en Amérique du Nord, ce serait bien de faire appel à un style traditionnel, très « americana ».

Un style américain qui démarre avec un dobro solo pour finir avec un grand orchestre à la Aaron Copland !
Absolument ! (rires) Je m’en suis donné à cœur joie et ce fut un très grand plaisir !

Un autre instrument nouveau dans Frère des Ours est la guitare sèche.
Ce fut l’idée de Matt Walker. Il savait que les chansons de Melissa Etheridge feraient forcément appel à la guitare et le fait de l’utiliser tout au long du film était une façon de prolonger ces chansons en utilisant les mêmes couleurs. Je voudrais ajouter que Matt a été encore plus formidable que d’habitude sur ce projet. Ce fut déjà fantastique de travailler avec lui sur Tarzan 2, mais là, cette collaboration sur Frère des Ours 2 restera pour moi l’un des grands souvenirs de cette expérience !

Cette guitare apporte une dimension émotionnelle à la fois profonde et authentique.
Je suis tout à fait d’accord avec vous ! C’est aussi l’une des choses que j’ai appréciées. C’est un film rempli d’émotion. Ce n’est pas si fréquent dans une suite, et là, j’ai pu vraiment m’exprimer dans ce sens. Je voudrais en profiter pour rendre hommage au guitariste du film, Dean Parks (qui a également joué dans la B.O. de Cars, NDLR), qui a fait un travail fantastique. C’est un grand musicien, mais aussi quelqu’un de bien sur le plan humain. Nous avons enregistré sa guitare live en même temps que l’orchestre. D’habitude, les solistes sont enregistrés à part, lors de sessions séparées. Or, là, Dean était dans une cabine, et a vraiment joué avec l’orchestre. De cette façon, il a réellement pu être en harmonie sur le plan émotionnel avec tous les autres musiciens, et cela y est sans doute pour beaucoup dans l’authenticité et l’expressivité de cette partition.

Mark Mancina est crédité à vos côtés dans le générique de fin en tant que co-producteur de la musique. Quel a été son rôle exactement ?
Dans la mesure où j’avais composé avec Mark la musique de Tarzan 2, Disney m’a fait confiance pour me laisser seul aux commandes de Frères des Ours 2. Mais ils tenaient malgré tout à ce que Mark soit encore de la partie afin de s’assurer que ma partition soit bien fidèle à l’original. Concrètement, je lui ai présenté mes démos, et il me faisait part de ses commentaires et de ses conseils. Il était également présent lors de sessions d’enregistrement, environ la moitié d’entre elles. Mark est un ami et j’ai été heureux de pouvoir bénéficier de son avis éclairé pour ma première partition en solo.



Comment s’est passée votre collaboration avec le réalisateur du film, Ben Gluck ?
Le fait est que, lorsque je suis arrivé sur le projet, il n’y avait plus vraiment de réalisateur. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé, mais le résultat en a été que mes interlocuteurs ont plutôt été les producteurs du film, à commencer par Carolyn Bates, ainsi que Matt Walker. Tous mes contacts avec Disney sur ce film, des spotting-sessions (réunions durant lesquels réalisateur et musicien déterminent à quels moments la musique interviendra et ce qu’elle devra exprimer, NDLR) aux sessions d’enregistrements, ont eu lieu avec cette équipe créative.

Quelles furent vos relations avec la compositrice des chansons, Melissa Etheridge ?
En réalité, nous n’avons pas passé beaucoup de temps ensemble. Elle a davantage travaillé avec Matt. Nous nous sommes rencontrés à un moment car, lors d’une spotting session, nous nous sommes dits avec les créateurs du film qu’il serait intéressant d’utiliser le thème de sa première chanson dans la partition. Je lui ai donc fait écouter les morceaux de ma partition dans lesquels son thème apparaissait, et c’est ainsi que nous en sommes arrivés à l’idée du grand final sur Welcome To This Day. J’ai alors écrit un arrangement orchestral de sa chanson et Melissa a enregistré la partie vocale à partir de mon travail. Comme vous le voyez, ce ne fut pas une collaboration très étroite, mais Melissa est un des grands noms de la musique, et j’ai vraiment apprécié cette opportunité de pouvoir la connaître. J’ai beaucoup de respect pour sa musicalité et pour sa personnalité. De son côté, je crois savoir qu’elle a beaucoup aimé avoir une de ses chansons arrangée de la sorte pour grand orchestre.

Pouvez-vous nous parler des nouveaux thèmes que vous avez composés pour Frère des Ours 2?
Le thème le plus important et le plus récurrent est sans doute celui de Nita. On le découvre dès le début du film, dans la séquence du rêve de Kenai. J’avais besoin d’un thème que je puisse utiliser pour elle et qui puisse en même temps accompagner sa relation avec Kenai. Avec le temps et l’expérience, je me suis aperçu que si l’on arrive à trouver un thème solide, qui puisse en même temps être adapté facilement aux différentes situations du film, on a déjà fait la moitié du chemin dans la l’écriture d’une telle partition. Pour ce faire, j’ai travaillé trois à quatre jours rien que sur ce thème, afin qu’il soit parfait. Car je savais que durant la majeure partie du film, il devait être léger et emprunt de liberté, mais qu’à la fin, il fallait en faire quelque chose de profond et d’émotionnel. Il y a un autre thème, que je qualifierais de secondaire, et qui unit Nita et son père. Pour moi, il signifie également beaucoup sur le plan des émotions. Enfin, il y a le thème de Kenai et Koda, le thème des deux frères. Là encore, j’y ai passé pas mal de temps car il fallait que je puisse en faire quelque chose de joyeux et d’insouciant pour le début du film, et quelque chose de sensible et profond pour les moments de réconciliation, dans la seconde partie.

C’est un thème d’une grande beauté, d’autant plus lorsqu’il est arrangé pour violoncelle solo, avec de petites touches de guitare sèche.
Merci de ce compliment ! Je dois avouer que cela fait plus d’un mois que je n’avais pas écouté cette partition, et je l’ai fait ce matin afin de préparer cet entretien. Le fait est que ce thème me parle et m’émeut toujours autant. J’aime tout composer, mais lorsqu’un film dégage une telle émotion, je n’ai pas de difficulté à me laisser porter.



Difficile de résister à Innoko, la Cha-woman, qui révèle à Nita la façon de rompre le pacte ! Et musicalement, c’est une association étonnante de musique de cartoon et de spiritualité !
Ma première approche de ce personnage a été purement comique, mais ensuite, je me suis intéressé à cette spiritualité que l’on devine en elle. J’ai alors pris le parti d’une approche littérale, en suivant l’action au plus près. Par exemple, lorsqu’on passe de l’évocation des Esprits à la comédie, je n’ai pas hésité à changer brusquement de style.

Cet équilibre entre la comédie et la profondeur est à l’image de tout le film.
Absolument. Globalement, j’ai traité la première partie du film dans un esprit de comédie de dessin-animé, utilisant des techniques typiques du Mickey-Mousing (le fait que la musique accompagne l’action au plus près, comme dans un cartoon, NDLR). Mais la fin est très différente, et m’a permis de davantage développer les thèmes introduits en première partie. Vous savez, la plupart du temps lorsque j’écris la musique d’un film, j’essaie de trouver, puis de traiter la scène la plus difficile ou la plus délicate en premier, puis le compose autour, avant et après. Or, sur Frère des Ours 2, j’ai procédé dans l’ordre du film, chose que je n’avais jamais faite auparavant. Cela m’a beaucoup aidé dans la mesure où j’ai pu véritablement accompagner l’évolution des personnages, pas à pas depuis le début jusqu’à la fin de cette histoire. De fait, lorsque je suis arrivé à la fin du film, je connaissais parfaitement les thèmes sur lesquels je travaillais, et cela m’a permis de les développer d’une manière beaucoup approfondie.

Pouvez-vous nous parler de l’aspect ethnique de votre partition ?
En ce qui concerne les percussions, j’ai tout interprété moi-même. Ce sont soit des échantillons, soit des tambours que j’ai joués moi-même. Et il en fut de même pour les flûtes ethniques. En ce qui concerne les chants traditionnels que l’on peut entendre lors de la cérémonie de mariage de Nita, il s’agit également d’échantillons empruntés à une banque de sons appelée « Voices of Native America ». A partir de là, j’ai cherché une façon d’exprimer l’idée d’une célébration en associant ces trois éléments.

Comment avez-vous choisi ces instruments ?
J’avais déjà travaillé avec des flûtes ethniques sur de précédents films, mais le fait est que je ne connaissais pas vraiment ces instruments, et notamment les notes qu’ils pouvaient jouer (car les instruments ethniques ne jouent pas les mêmes notes que nos instruments classiques). Sur Frères des Ours 2, j’ai voulu vraiment les connaître avant d’écrire pour eux. J’ai donc acheté quatre flûtes différentes auprès de deux fabriquants spécialisés ici, aux Etats-Unis ; des flûtes de différentes tailles, accordées dans des tonalités différentes. Je me suis mis à apprendre à en jouer afin d’en découvrir toutes les couleurs et les tonalités dans lesquelles elles sonneraient le mieux. Et cela m’a tellement plu que j’ai décidé d’en jouer moi-même pour l’enregistrement !

Cela ajoute une nouvelle corde à votre arc !
Il est vrai qu’en tant que contrebassiste de formation, je n’imaginais pas que je me mettrais ainsi à la flûte ! Mais cela ne m’a pas empêché de jouer de la basse également sur ce film : c’est moi qui joue la partie de guitare basse dans la reprise finale de Welcome To This Day. Je n’ai pas la prétention d’avoir le talent des musiciens de sessions, mais c’était tellement amusant que je n’ai pas résisté !

Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement avec Mark Mancina sur un film appelé August Rush pour Warner Bros. Nous y travaillons par intermittence depuis presque un an. C’est une histoire très intéressante à propos d’un musicien prodige de dix ans qui s’est retrouvé séparé de ses parents naturels, également musiciens. Le film raconte alors leur réunion. Il y a énormément de musique dans ce film, et notamment de la musique que nous avons dû enregistrer avant le tournage, afin que les acteurs puissent jouer dessus. Nous sommes aujourd’hui dans la dernière phase de production, et nous enregistrons à la fin du mois d’octobre. Parmi nos autres projets communs à Mark et à moi se trouvent les films Camille et Shooter, d’Antoine Fuqua, le réalisateur de Training Day.

Et avec Disney ?
J’aimerais beaucoup retravailler avec Matt Walker, mais vous savez que Disney est en train de reconcentrer ses activités en ce moment. Ce qui fait que l’avenir est incertain de ce côté-là. L’un de nos derniers projets à Mark Mancina et moi pour Disney, fut la musique du tout nouveau logo de Walt Disney Pictures. On n’a pas tous les jours l’honneur de pouvoir arranger un tel classique de la musique ! Ce fut un travail assez long et nous avons réalisé pas moins de huit démos avant d’arriver à un résultat qui convienne au studio.

Pour vous, que représente Frère des Ours 2 ?
Je n’oublierai jamais cette première opportunité de composer entièrement la musique d’un film. J’y ai beaucoup songé depuis, et je pense que ce film est vraiment l’un des grands moments de ma carrière, tout à côté de l’époque où j’ai orchestré la version Broadway du Roi Lion et que j’ai été nominé pour un Tony Award pour cela ! Tout ce qui me revient de cette expérience, ce n’est que du plaisir !